Terre !!!!

Le cri libérateur de la vigie

Depuis des siècles, le cri jaillit du haut des mâts : « Terre !!!! » C’est le hurlement qui déchire l’horizon infini, qui rompt l’angoisse de l’errance maritime, qui annonce la fin du vertige océanique. Dans les galions d’autrefois, la vigie scrutait l’immensité bleue, guettant cette ligne improbable où la solidité du monde réapparaîtrait enfin. Ce cri n’était pas seulement une information — c’était une délivrance, un soulagement existentiel, la promesse que le voyage n’était pas vain, que quelque chose de ferme attendait au-delà du flux perpétuel.

Marcel Dhoye, artiste  fut lui aussi une vigie. Mais sa tour de guet n’était pas faite de bois et de cordages — elle était intérieure, spirituelle, dressée au cœur de son propre domaine créateur. Pendant des années, il a navigué sur l’océan tumultueux de la recherche picturale, explorant les courants changeants de la forme, de la couleur, de la lumière. Comme le marin perdu en haute mer, il a connu le doute, l’incertitude, la peur que son périple ne mène nulle part.

Et puis, un jour, il l’a vue. La terre. Non pas une terre géographique, mais cette terre intérieure que tout créateur cherche : le lieu où sa quête trouve son sens, où ses recherches convergent, où le chaos des expérimentations se cristallise en vérité. « Terre !!!! », aurait-il pu crier lui aussi — non vers l’équipage, mais vers lui-même, vers le monde de l’art, vers tous ceux qui errent encore.

Ce cri de Dhoye n’est pas celui de l’arrivée définitive, mais celui de la reconnaissance. La terre qu’il annonce n’est pas une destination figée, car en art, il n’y a jamais de port final. C’est plutôt l’instant où l’artiste comprend que ses recherches n’étaient pas dispersées, qu’elles traçaient malgré tout une trajectoire, qu’elles convergeaient vers quelque chose de solide. C’est le moment philosophique où l’errance devient chemin, où le tâtonnement devient méthode.

La vigie, dans sa solitude perchée, a ce privilège terrible et magnifique : elle voit avant les autres. Elle porte la responsabilité d’annoncer ce qui n’est encore qu’une intuition, une forme à peine discernable dans la brume. Dhoye, en tant que vigie de son propre domaine, a exercé cette même responsabilité : celle de proclamer que oui, il existe une cohérence dans l’exploration artistique, que oui, la quête picturale peut aboutir à une révélation.

« La terre est là », dit-il. Cette affirmation simple résonne comme une libération ontologique. Elle signifie : j’ai trouvé mon sol, mon assise, le lieu depuis lequel je peux enfin créer en paix. Mais elle signifie aussi : mes recherches ne sont pas terminées, elles sont là, présentes, accomplies dans leur devenir même. La fin qu’il annonce n’est pas une conclusion, mais un accomplissement — la différence est capitale.

Car la terre du créateur n’est jamais celle de l’installation confortable. C’est une terre ferme, certes, mais elle reste à cultiver, à habiter, à comprendre. Le cri « Terre !!!! » n’est que le début d’une nouvelle relation au monde — celle où l’artiste, ayant trouvé son territoire, peut enfin y construire son œuvre en connaissance de cause.

Dans ce cri résonne toute la condition humaine : notre besoin de fondation, notre quête de sens, notre désir de trouver ce point d’ancrage depuis lequel l’existence cesse d’être pure dérive. Nous sommes tous des vigies scrutant notre propre horizon, attendant le moment où nous pourrons enfin crier, libérés : « Terre !!!! »​​​​​​​​​​​​​​​​

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